« La Vie et l’Ecole ». La vie à l’Ecole des Roches en 1929, il y’a 90 ans: la Maison rien que la Maison !

L’Ecole des Roches vue aérienne de l’entre deux guerres mondiales ( 20 eme siècle…)

« La Vie et l’Ecole », est le titre de l’article écrit le 8 mai 1929 dans le journal Le Temps par Hippolyte Parigot, auteur en 1894 de « Le théâtre d’hier », récompensé par l’Académie Française par le prix Bordin et en 1899 « Le drame d’Alexandre Dumas », récompensé par l’Académie Française par le prix Narcisse Michaud. Cet article entraine le lecteur dans la découverte de l’Ecole des Roches et de sa vie interne. L’article est très judicieusement construit en abordant ce qui fait la particularité de l’Ecole où tout se passait dans ses Maisons, et ce qui perdurait quand votre serviteur était lui même un des hôtes de ces maisons au milieu des années 1980. Le bâtiment des classes et l’enseignement scolaire étant une des parties annexes de la genèse de l’Ecole comme l’avait pensée en 1898 et crée en 1899 Edmond DEMOLINS .


Le Temps numéro du 8 mai 1929

Je vous retranscris l’article de 1929 In Extenso:

« L’autre semaine, par un de ces matins brumeux et froid que dispense la lune rousse, un voyageur, emmitouflé dans un raglan épais, descendait de l’Express de Paris à la gare déserte de Verneuil sur Avre, petite ville célèbre par son donjon , ses vieux ramparts transformés en promenades et ses maisons en encorbellement, ancienne place forte que Henri 1er, roi d’Angleterre, dressa contre le Roi de France, aujourd’hui villégiature pacifique. Mais ni les tours ni les demeures d’autrefois ne le souciaient à cette heure, il monte dans une automobile qui, à vive allure, l’emporte à travers la campagne, le long d’une route bordée d’arbres élevés, vers un domaine sans grille ni mur, et, après un élégant virage, le depose au pied de l’escalier magnifique qui accède à la terrasse d’un vaste cottage. Le nouveau venu embrassait du regard une floraison d’autres villas d’aspect riant, aux larges baies, et des pavillons et des hangars et une gloriette répandus sur une prairie que couronne une pinède au flanc du coteau, quand une main, puis un bras s’étendirent vers lui; quel était ce bras? Quelle était cette main ? …

Le bras qui gouverne et la main qui accueille: nous sommes en Normandie à l’Ecole des Roches , en presence d’un homme grand , svelte, grisonnant, l’oeil vif , d’une élégance confortable, à l’anglaise, M.Georges Bertier, directeur, qui nous invite avec affabilité à entrer au salon. Au salon du “Coteau” où habitent une cinquantaine d’élèves. Neuf autres “maisons” complètent cette organisation familiale et reçoivent pareillement suivant leurs dimensions, de 50 à 10 élèves. Elles portent, pour la pluspart, des noms rustiques: les Sablons, le Vallon, la Prairie, les Pins, les Champs, etc… Tout y baigne, en effet, dans la lumière et dans l’air pur. A la tête de chacune se trouve un professeur marié, qui est le “chef” et dont la femme “maitresse de maison”, aide d’une intendante, pourvoit au train domestique.

Carte postale « légendée » par un rocheux qui illustre la vie commune des professeurs, du chef de maison et des élèves d’une maison: ici celle des Pins.

Les élèves de tous ages , depuis huit ans jusqu’à dix-huit ans y vivent ensemble, comme dans un foyer ami: ils n’y deviennent pas potaches dans un internat , mais restent eux meme, comme chez eux. Ils y prennent leur repos par petit dortoirs de huit, leurs repas avec le ménage chef et ses enfants, garcons et filles; et des “Champs” aux “Pins”, leur menu varie, si la règle de vie est la même. Lever, pour les plus grands à six et demie et coucher à dix heures; pour les plus jeunes sept heures et à neuf; à peine debout, douche ecossaise pour tout le monde et tout le monde fait son lit. A sept heures et demie , on a déjà faim et l’on en casse pas que d’une dent : déjeuner anglais, copieux, porridge d’avoine cuite à ces poulains, puis jambon et beurre, café au lait ou chocolat à ces gentlemen; sur le coup de dix heures, tasse de lait et deux gateaux, à midi et demi, hors-d’oeuvre  ou entrée, legumes, viande ou poisson, fromage, dessert; seize heures tapant, et c’est le thé ou cacao; enfin à dix heures, meme ordonnance du festin qu’à midi, le potage remplaçant l’entrée. Quant à la boisson, l’eau de la fontaione de Castalie qui inspire les poêtes. Nous avons vu à l’oeuvre le Coteau, lecteurs et lectrice: rubis sur l’ongle et belles fourchettes !

Pour assurer l’unité de lien, sinon de lieu, quinze postes téléphoniques mettent en rapport toutes les maisons. Ce qui préoccupe, de toute evidence, le directeur de cette cité de la jeunesse, c’est l’éducation morale. La salle de culte protestant et, aux confins du domaine, un bijou de chapelle catholique, où repose le fondateur, Desmolins, annoncent au visiteur que l’instruction religieuse y a sa place. De leur part, les  chefs de maison attachement un grand prix à la formation du caractère. Tandis que M. Marty, sous-directeur, nous fait les honneurs de son Vallon, qui fut, de cet organisme, la première cellule, si l’on ose parler ainsi d’un bâtiment aux portes grandes ouvertes, et qu’il nous mène dans le hall où un blondinet prend connaissance des périodiques de la maison, dans cette lumineuse salle à manger, à la belle cheminée d’auberge dernier cri, comme chez Albert ou Alfred, à la bibliothèque, aux petites salles de travail, à la douche, à la remise aux bicyclettes, enfin tout ce qu’il faut pour écrire, il nous explique comment chaque grand élève est investi d’une charge qui l’associe au train intérieur et la manière dont il choisit sur leurs qualities morales et forme de longue main les “capitaines”qui, au dortoir, sur les terrains de jeu, à l’étude même exercent une autorité reconnue de tous.

La salle à manger du Vallon

Et ainsi, à la discipline napoléonienne se substitute à la liberté ordonnée. A ces mots, nous reviennent en mémoire nos souvenirs de l’Ecole normale de la rue d’Ulm, où le premier de la section , le “cacique”, jouissait à peu près du même prestige. Mais il est veritable que le nôtre, le regretté Rauh, toujours plongé dans Kant, gouvernait mollement et reussissait mieux à maintenir la liberté que l’ordre. Or, juste à ce moment de nos reflexions intérieures, passe un grand garçon aux yeux bleus et au sourire doux en qui nous devinons un capitaine et devant qui nous nous effaçons avec modestie: comme dit notre concierge, “ce qu’on devient en vieillissant!”.

Le temps l’article « LA VIE A L’ECOLE » consacré à l’Ecole des Roches en 1929

A l’Ecole des Roches, lecteurs et lectrices, le Coeur de la journée, de quatorze à seize heure, est consacré au travail des muscles ou des mains. Dès que la cloche des sablons, des Champs, de la Prairie et autres séjours enchanteurs tinte avec alégresse, les études de musique, les lectures, les parties de tennis cessent instantanément, et l’on voit les “garcons” courant et pédalant vers les pelouses ou les ateliers. Car, par un regime alterné, chaque jour, grands ou petits sont sur le pré ou aux travaux pratiques.

ET d’abord, lectrices, veuillez croire que ce n’est pas un spectacle banal que celui des groupes en maillots de couleur (par ce vent âpre!), qui se rangent , au coup de sifflet, auprès du portique, taches animées sur le gazon vert, pendant que d’autres s’exercent à la gymnastique Hébert, au porter, au lancer, à la marche allongée, à la marche indienne, à la course, aux applications sportives, football, hockey, basket ball. Aujourd’hui opèrent les grands . Près de nous, une compagnie de poules, entendez des poules de Houdan, immobiles dans leur parc, semblent considerer avec émerveillement la grace dont les équipes revêtent les formes de la vie humaine. Trois personnes , en outre, joignent leur contrôle: un chef de maison, le professeur et, à son tour, le médecin. Toute cette jeunesse, en effet, est pesée, mesurée; une fiche enregistre les prérimètre thoracique et les variations de l’activité scolaire; une autre psychologique celle –là, complète la première; et une fiche médicale s’ajoute à l’une et à l’autre. Un jour viendra, lectrices, n’en doutons plus, où grâce au progès de nos institutions, les jeunes filles à marier pourront consulter ces archives, à charge de revanche. En attendant, on lit dans le journal de l’Ecole: ”Roches 1 bat Racing-Club de France.”

Rocheux à l’entrainement quotidien …
Les travaux des champs aux « Roches » avant 1914

Mais, ainsi qu’il est écrit dans la Belle Hélène, “des hommes forts, nous en avons”, pas en surabondance, mais enfin nous en avons. Il nous faut aussi des hommes adroits. Voltaire nous recommande, dans Candide, comme la plus sage pratique de cultiver  notre jardin; l’après-midi, à la saison, nous avons ici des jardiniers. Caton l’Ancien, célèbre les travaux de la ferme;

nous avons ici des vocations fermières. Surtout, nous avons l’apprentissage de la vue et de la main; Au laboratoire d’histoire naturelle, où nous pénétrons, une dizaine de bambins y mettent tous leurs soins. Celui-ci observe la naissance d’une libellule; cet autre, dans un vase à demi rempli d’eau, examine les larves de dytiques; un troisièmme l’intérieur d’une tortue naturalisée; et un quatrième se montre fort attentive à preparer un hibou pour l’empaillage. Et l’on se tromperait, sur l’honneur, en insinuant que l’empaillé n’est pas celui qu’on pense. A présent, nous voici à la vannerie, où des bouts d’homme, âgés de neuf ans, tressent des corbeilles de fruit, s’il vous plait, sous l’oeil de leur maitresse, graves comme un rexteur devant les quatre facultés. A la menuiserie, dans une baraque Adrian, trente deux compagnons de treize à quatorze ans, s’escriment du rabot et de la scie et ne reculent pas devant les assemblages à queue d’aronde; la colle seul, parait-il, les embarasse encore, de même qu’en mathématiques. Et voici les forgerons, descendants de Tulbacaîn, en combinaison bleue, inclinés vers l’enclume, ou droit devant l’étau, parmi les tours, perceuse et Volt-outils. Un chassis d’automobile attend leur intervention.

La menuiserie de l’Ecole des Roches avant 1914

Ce gaillard aux yeux éveillés, fils d’un médecin en renom, vous fabrique déjà une lampe électrique; son voisin une lame de couteau, à propos de laquelle il declare fièrement:”je la tremperai.”. A la gravure, un élève de quatrième, haut comme une botte de gendarme, pas même de d’Artagnan, tire à la grande presse une eau forte. Tout proche, l’atelier de reliure fonctionne au premier étage de la Villa Medicis- excusez du peu !- et les beaux papiers y voisinent avec les beaux cuirs; là, s’apprennent la patience, la minutie et la propreté. Une petite fille, l’enfant d’un professeur, s’y initie avec ses camarades du sexe fort et ne les craint point. Mais voici que nous allions omettre les ateliers de dessin, qui sont le principe de tout, et le modelage, où se développe l’imagination créatrice, et les bois découpés, qui représentent, comme il convient, des moteurs et des avions. Et la poterie, et quoi encore ?… Rien: seize heures sonnent et le thé n’attend pas.

Travaux de vannerie à l’Ecole des Roches

Parlez plus haut, lecteur; articulez, lectrice: vous ne vous faites pas entendre. Vous voyez bien, dites vous, à quelles heures dans cette école, on se fait le character, les muscles, et meme la main; mais vous brulez de savoir quand on s’y fait l’esprit. Regardez là-bas ce bâtiment que des maçons rehaussent en ce moment: il figure la maison commune ou, mieux encore, le cerveau. Au centre règne une grande salle où se donnent les representations théatrales et cinématographiques, les concerts, les conférences. Sur elle débouchent toutes les classes qui lui constituent une ceinture, non pas de sauvetage , mais de pédagogie. De huit heures et demie à midi vingt, chaque matin, y compris le jeudi, les élèves quittent leurs “maisons” pour y suivre l’enseignement. La plupart apprennent le latin et deux langues vivantes; une douzaine le latin, le grec et une langue vivante; très peu suivent le programme moderne: au surplus, on le les y pousse point.

Mais la caractéristique de l’enseignement, c’est la conservation du professeur principal. Jusqu’à la quatrième inclusivement, la même maitresse ou le même maître enseigne tout. De la troisième à la première exclusivement, le professeur de français enseigne aussi le latin, l’histoire et la géographie. Et meme ces deux dernières disciplines, fournissant les centres d’intérêt fournissent le pivot aux autres. Au moment, par exemple, où l’on étudie la Gaule, le professeur explique les commentaires de César et le maître d’anglais lui même fait traduire des morceaux de Jules Cesar de Shakespeare. Des deux principes, celui du professeur principal est excellent. Nous avons assisté à une clase de huitième, sauf erreur, où le second, celui des centres d’intérêt en usage à l’école primaire, nous a paru ingénieux. Sans doute doit il exiger quelques coups de pouce; mais pour le juger, surtout au dessus des classes de grammaire, nous aurions besoin d’une observation plus approfondie. Une autre particularité de cette organisation , c’est que le soir, de seize heures et demie au diner, les élèves qui n’ont pas dépassé la quatrième ne vont pas à l’étude, mais suivent des etudes-classes où leur professeur leur apprend à travailler. Nous avons assisté à une de ces séances où nous n’affirmerions pas que nous n’eussions vu nulle tête appuyée sur le coude, mais où l’analyse grammaticale d’une phrase latine ne manquait ni d’intérêt ni de vie. Cependant, les élèves de classes supérieures, qui ont regagné leurs maisons, sont groupés par études de huit ou dix, et conseillés, au besoin, par des professeurs qui restent à leur disposition. Point de judas; point de vitres aux portes. La surveillance du capitaine suffit chez les grands à assurer l’ordre et le travail. Entrez sans frapper.

Enfin, un dernier trait de cette pédagogie nous a frappé. Entre les classes du matin et l’étude du soir, le “chef de maison” a reçu, par les soins du secretariat, la feuille individuelle des notes méritées, le jour même, par chaque élève et sur ces indications, il oriente ses conseils ou ceux des maîtres. De la sorte, comme on voit, il ne se passe point de jour que chacun de ses nourissons- au sens noble du mot, s’il vous plait- ne soit guidé avec l’attention qu’il faut: c’est proprement l’étude sur mesure. Nous avons, avant d’écrire ces lignes, parcouru quelques paquets de devoirs et de compositions. Vrai est que l’orthographe y essuie quelques disgrace, comme par ailleurs; mais ici, du moins, on y prend garde et l’on s’efforce d’y remédier. Au total, la culture intellectuelle nous parait sensiblement plus poussée, de fait, que dans certains collèges anglais qui, à l’origine, ont servi de modèles, on prepare, même à l’institut agronomique, à Saint-Cyr, à l’Ecole des hautes études commerciales. D’après nos renseignements particuliers, de l’Ecole des Roches sortent, chaque année, un certain nombre de caractères bien équilibrés; elle produit aussi des bâcheliers dans des proportions qui ne sont pas négligeables puisqu’elle varient entre 74% et 94%. Mais surtout, et sans contredit, on y fait point d’anémiques . »

Hippolyte Parigot 8 mai 1929

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Le Vieux Colombier à Verneuil sur Avre

Au 578 rue de la Madeleine à Verneuil sur Avre (27130) habitaient des élèves de l’Ecole des Roches… quand  malgré les différentes et nombreuses Maisons que comptait l’Ecole,  les Roches ne suffisait pas y à loger l’ensemble de ses élèves, tous pensionnaires. La suite P2…

 

Il était une fois …. Domusbook


Les, la, notre Maison.

Le terme DOMUS est très ancien. Il remonte à une étymologie indo-européenne (*dom-) qui désignait la famille sur deux générations, et tire son origine de la racine –dem-, construire.

La Domus est donc la maison familiale romaine, dont le chef de famille porte le nom de Dominus.

Le Domusbook est un programme d’organisation en réseau de nos maisons leur permettant de devenir communicantes au gré de nos envies. Ainsi la mémoire familiale sera préservée en son sein, complétée et mise à jour dès que chacun des membres du réseau Domusbook en aura l’envie, la nécessité impérieuse face au temps qui passe….. Comme l’écrit Guy Kemlin (Nais 1922-2016 – Vallon 1930-1937- X 39 – chevalier de la Légion d’honneur- croix de guerre 1939-1945 – médaille des évadés,) en préambule de ses « souvenirs de 1939-1945 »: A nos enfants, à leurs enfants et ainsi de suite…. »

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L’Hotel de Cabre , plus vieil immeuble Marseillais

 

L'Hotel de Cabre  édifié en 1535 à Marseille

L’Hotel de Cabre édifié en 1535 à Marseille

L’Hotel de Cabre, édifié en 1535, classé en 1941, a échappé à la destruction par les allemands du quartier du Vieux Port en 1943. 

L’intégralité de l’article consultable ici

10 immeubles parisiens habités d’histoire de personnages connus

l’intégralité consultable ici

La maison Francaise qui a préfiguré la maison Quebecoise

Sur l’ile d’Orléans au Quebec, une des dernières maisons du 18 eme siècle construit par les colons francais et qui ont préfiguré et inpiré le style des maisons québécoises. http://Explications en image en cliquant ici.

Le 57 AV des Frères Lumière Lyon 8 eme: Des Lumière à Paul Bocuse en passant par David Hosansky.

57 de l’Avenue des Frères Lumières à Lyon 8 eme

Au 57 de l’Avenue des Frères Lumières à Lyon, anciennement rue Royale puis rue du Montplaisir, un hôtel particulier art nouveau construit par l’architecte Tony Blein sur commande de Antoine Lumière pour ses enfants. Ses deux fils Louis et Auguste, les deux inventeurs du cinéma (projection publique) sous l’égide de leur père, ont tout deux habité avec leurs épouses respectives qui étaient également deux soeurs, Marguerite et Rose Winkler. Puis ce fut la cadette des enfants Lumière France et son mari, un autre Winkler, Charles, qui furent les hôtes de l’Hôtel particulier. Cette demeure sur deux étages est sur le modèle du somptueux château édifié pour et par Antoine Lumière non loin de là .

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